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Commissaire d'exposition, Jean-Marc Réol a écrit de nombreux articles et ouvrages sur les artistes d'art contemporain.Il a dirigé l'école et le centre d'art de la Villa Arson à Nice et l’Ecole Supérieur d’Art et Design de Toulon ProvenceMéditerranée (ESADTPM).

Caroline Vicquenault - Une poésie de la reprise.

 


          La scène de la peinture en France laisse depuis de nombreuses années une place de plus en plus grande à sa veine figurative. L’événement qu’a constitué « le jour des peintres » en septembre 2024 au musée d'Orsay, montrant simultanément 80 artistes français, pour la plupart très jeunes, appartenant à cette tendance, en est la manifestation récente la plus éclatante. Mais loin de faire apparaître une unité esthétique ou idéologique dans cette profusion de propositions, l’événement exposait plutôt la diversité des références et des intentions qui animent ce puissant mouvement figuratif, dont la version française résonne aussi dans le contexte d’un engouement étendu depuis longtemps au monde global de l’art.


Si donc l’on ne peut plus parler aujourd’hui comme cela se faisait naguère encore d’un " retour de la figure " pour stigmatiser une nostalgie figurative, supposée anti moderne, face à la dynamique puis à l’épuisement des avant-gardes, il est cependant permis de constater que cette figuration actuelle s’appuie bien sur la mémoire de la richesse historique et formelle du médium, dont elle exploite les infinies possibilités combinatoires pour projeter des images formant une continuation renouvelée de son ancienne puissance de représentation.


Inscrite par son âge dans cette nouvelle génération l’œuvre de Caroline Vicquenault bénéficie évidemment de l’espace de liberté ouvert par cet appel au passé de la peinture dont elle sait utiliser le luxe des moyens et des manières dans toute leur diversité, comme un hommage à l'ancienne splendeur du médium, mais sur un mode libéré de l’autorité dogmatique de ses paradigmes passés. Il s’agit plutôt pour elle de réunir dans l’espace du tableau des éléments du lexique pictural choisis dans le foisonnement de son histoire pour les faire jouer ensemble au service d’une expressivité ajustée à chacune des réalisations qu’elle met au jour.


Ainsi,paradoxalement, l’hommage sincère et transhistorique à la peinture qui émane de cette œuvre encore
jeune se fonde bien sur une désinhibition totale par rapport aux injonctions d’un discours historiciste préconisant
les qualités nécessaires à l’élaboration d’une « belle peinture » figurative.

 

Pour approcher plus précisément les caractéristiques singulières du travail de Caroline à partir de ce qu’il donne le plus évidemment à voir, nous pourrions avancer qu’il se fonde essentiellement sur un équilibre particulier entre ce qui appartient à son fonctionnement narratif et ce qui est de l’ordre de sa picturalité proprement dite. De ce double point de vue, chacune des plongées dans l’univers visuel de l’artiste, prise dans la suite des tableaux qu’elle offre à notre regard, compose, par fragments successifs, une histoire de sa relation à une réalité toute personnelle, où l’on retrouve aussi bien des animaux familiers que des personnes proches, ponctuée quelquefois de paysages qui élargissent l’horizon de cette atmosphère intime. Si cet intimisme entre parfaitement en résonance avec celui de nombreux artistes de sa génération, il est toutefois chez elle traversé par une sorte de distance poétique qui confère souvent à ses œuvres une tonalité presque onirique.


Nous pouvons y reconnaître un mélange d’éléments descriptifs traités quelquefois sur un mode réaliste presque académique convoquant des glacis et des tons fondus, mais aussi une gestualité plus allusive, « fa presto », allant jusqu’à la spontanéité dynamique de l’ébauche tout en intégrant par moments des ponctuations délibérément abstraites. L’utilisation de cette palette d’effets réunis dans le même tableau contrebalance l’intention mimétique initiale propre à la figuration en mettant en évidence le fonctionnement essentiellement pictural de la composition. Substance imageante, figurative donc autant que potentiellement défigurante, la peinture est ainsi montrée dans son ambivalence, comme traduction d’une réalité qui lui reste extérieure et comme présence visuelle immédiate de ses beautés physiques.
 

Il me semble que l’artiste a saisi avec justesse le fonctionnement de cette complexité propre à l’image peinte dont elle rejoue pour chaque tableau l’équilibre poétique, en acceptant pleinement les contraintes de cette dramaturgie particulière qui noue ensemble un lieu physique, le tableau, à un acte puissant de matérialisation de la pensée, l’acte de peindre, dans le temps défini par la pratique. Elle reprend ainsi à son compte les exigences anciennes d’une production de la forme peinte selon un processus d’unification synthétique complexe, dont les signifiants visuels s’inscrivent à la fois dans l’histoire subjective de l’œuvre en train de se faire et dans celle de l’histoire de l’art comme indice mémoriel d’une culture.
 

Il faut aussi saluer, en faisant défiler la collection d’images composant une œuvre si jeune, une maturité de la facture qui n’exclut pas une invention expérimentale continue et discrète, placée sous le signe d’une reprise plurielle du vocabulaire formel et technique de la peinture, mais progressant sans rupture manifeste, au rythme d’une dynamique de recherche adaptant ses moyens aux sujets qu’elle aborde successivement. En continuant ainsi à explorer les cercles concentriques de sa traversée du monde Caroline nous propose un récit pictural où s’accordent simultanément, en écho contrasté, la massivité culturelle d’un médium saturé d’histoire et la diversité des formes qu’il peut revêtir pour rendre compte du chatoiement de la vie. Cette ambivalence qui fait de la peinture une activité proprement humaine parce qu’elle engage indissociablement dans son geste autographe le corps et l’esprit de l’artiste, apparaît aussi aujourd’hui comme l’acte de résistance d’une singularité artistique face à l’hystérie kaléidoscopique du flux des images dématérialisées qui composent le miroir vertigineux du monde actuel.


Il me semble alors que pour l’artiste le choix de la peinture, à cause de la constance, de l’engagement mental et du temps qu’il exige, est aussi un acte éthique d’autant plus sincère qu’il est sans appui sur un discours idéologiquement préfabriqué et débarrassé de toute proclamation militante. Dans ces conditions l’atelier se révèle être le lieu d’une concentration méditative hors de l’agitation mondaine, en même temps qu’un ouvroir poétique où s’élaborent des images chargées de la mémoire de la peinture mais activement vivantes. Nous pouvons percevoir en regardant les œuvres produites par ce vitalisme particulier, tout ce qu’il doit aux condensations mêlées, du rêve, de la mémoire et des affects, baignant de leur poésie onirique les reportages intimes des scènes de la vie inscrites sur les tableaux que nous livre l’artiste.


Si comme le notait Kierkegaard « la reprise est un ressouvenir tourné vers l’avant » il semble que cette formule puisse aussi rendre compte de la double dimension projective et mémorielle contenue dans le travail de Caroline Vicquenault : une peinture certes non oublieuse de sa mémoire historique et matérielle, mais portée en avant par la puissance du moteur mental et subjectif animant les évocations picturales qu’elle élabore. Dans cet appareil la place laissée à l’activité de l’inconscient dans l’acte de peindre est préservée, en même temps que s’affirme la présence d’un corps au travers des traces visibles qui composent l’écriture visuelle de l’image.


L’émanation de cette subjectivité, libre de tout subjectivisme idéologique, irradie de son énergie propre la gestualité de cette peinture et nimbe d’un certain mystère le contenu des scènes qu’elle met en œuvre. Cette présence du peintre comme puissance d’agir subjective est en ce cas aussi une affirmation contredisant, jusque dans ses extrémités les plus figuratives, la prétention à une objectivité descriptive de la peinture qui demeure ainsi avant tout un territoire matériel et symbolique d’inscription du sujet. En ces temps troublés par l’enthousiasme maximaliste des promoteurs du transhumanisme, un des moindres mérites de Caroline Vicquenault n’est pas de nous rappeler avec une insistante singularité, les beautés alternativement matérielles et subjectives de la traduction du monde contenues dans toute peinture.


Jean-Marc Réol - Décembre 2024
 

Réseau documents d'artistes (PACA)

        La peinture de Caroline Vicquenault est habitée par de multiples figures extraites de son environnement direct. Dans ce panthéon personnel de femmes et d'hommes qui lui sont proches figure également quelques animaux de compagnie. C'est un lent travail de portrait que l'artiste entreprend, s'attachant tout autant à représenter au mieux l'expression de chacune et chacun, tout en transportant ses sujets dans des environnements fantasmagoriques.
Les visages et les corps s'inscrivent dans des champs colorés libérés du motif, sur des surfaces vivantes dans lesquelles la peinture s'expérimente pleinement. C'est alors un subtil équilibre qui s'opère, à la maitrise du portrait répond la surprise de fonds débordant souvent jusqu'à recouvrir les figures elles-mêmes. La peinture de Caroline Vicquenault, qu'elle soit réalisée à l'huile sur toile ou sur papier, travaille de concert la figuration et l'abstraction, l'une servant
invariablement l'autre dans de multiples aller-retours.

 

 

Réseau Documents d’Artistes

Gilles Altieri

             Qu'elle dresse le portrait d'êtres humains ou d'animaux, Caroline Vicquenault porte à ses modèles le même regard fraternel et la même empathie, au point qu'ilest difficile de ne pas employer le terme de visage dans le cas des seconds.
Dans sa manière de traiter ses sujets l'artiste n'use pas de procédé systématique et passe avec la même aisance d'une approche relativement classique avec une peinture passée en aplats et des formes aux découpes franches, à une touche
sensible et libre qui met en évidence la main de l'artiste au travail, avec ses hésitations, ses repentirs visibles, pouvant aller jusqu'à une violence gestuelle extrême comme on le voit dans les pièces où Caroline Vicquenault masque et
enfouit des visages sous une nappe de peinture impétueusement jetée. Néanmoins on a le sentiment que dans tous les cas la main du peintre reste sous son contrôle et ne déborde pas son intention, si bien que mêmes ses pièces les plus véhémentes présentent un certain aspect fini assez fréquent chez nombre d'artistes figuratifs d'aujourd'hui, sans qu'il paraisse nécessaire pour ces peintres de passer par l'étape désespérée du chaos et de la catastrophe.
Mais l'impressionnante maîtrise technique de Caroline Vicquenault n'est pas une finalité en soi qui l'installerait dans un confort convenu; elle s'accompagne en réalité d'un questionnement permanent du peintre sur la spécificité de la peinture, sa corporalité et son langage, sur les relations que ce médium noue avec le regardeur et son propre regard.

 

Cette recherche fait l'objet d'expérimentations et de nouveaux apprentissages, aussi bien dans sa manière de peindre que par les thématiques qu'elle aborde, dont certaines compositions complexes rassemblent des éléments apparemment hétérogènes pour offrir de mystérieuses visions dont le sens nous échappe. 

 

Il ne fait aucun doute que les années à venir se révèleront passionnantes pour le travail de Caroline Vicquenault.
 

Gilles Altieri

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